Articles

Grammaire sublime d’un corps androïde et métallique

Image
Julia Ducournau est une ébéniste des corps, une démineuse du genre, ainsi qu’une infiniment empathique et aimante créatrice d’êtres fictifs. De ses mains naissent des mondes, des femmes, des hommes, des corps qui apprennent, soit à se battre contre leur condition, soit à la remodeler, à l’adapter, d’abord à soi-même, puis à cet autre qui n’est pas soi justement, pour vivre non plus contre, mais avec. Avec ses films en tout cas, je veux vivre toujours, car ils ont eu à deux reprises le pouvoir de changer ma vie, puis de la sauver. Cela semble faire beaucoup, mais cela ne sera jamais assez face à la grandeur de cette femme qui, sans le savoir, me guide silencieusement depuis des années.  Le titane est, je cite, « un métal hautement résistant à la chaleur et à la corrosion, donnant des alliages très durs ». Penchons-nous avec délice sur les alliages filmiques de celle qui a de dur et hautement résistant, son amour pour les récits qui donnent des images en mouvements qui viennent délicatem

La poudre d’Eros. Mais Vous Etes Fous, De Audrey Diwan.

Image
Ma passion pour le lyrisme n’a d’égal que ma passion pour la pudeur. Devant Roman et Camille, la seconde m’a terrassée. L’amour n’a pas de recette, ce n’est pas une poudre dont l’on compte chaque gramme car l’amour ne se livre pas à la pesée. Il jaillit dans un regard, au fond d’une prunelle qui vient symboliser le plus pur des organes. Le regard de ces deux-là était si pur justement, si juste… Ils avaient appris à s’aimer en une étreinte, à se contenter d’une nuit, d’une échappée belle dans les rues d’une ville qui les jugeait sans comprendre leur détresse. Ils s’aimaient fort, ils s’aimaient vite. Dans l’urgence, sans cesse, sans prendre le temps de se retourner de peur de voir leurs pieds s’emmêler. Camille et Roman, c’est un couple qui court. Qui court vite. Leurs gestes sont rapides car ils savent que tout peut disparaître à peine leur baiser terminé, que tout peut encore basculer. Comme dans un thriller, le temps joue contre nous. Il nous étouffe, nous murmure de somb

Alice s’est perdue au Pays des Merveilles. The Neon Demon, de Nicolas Winding Refn.

Image
  Il était une fois une jeune fille . Une enfant à la beauté d’émeraude. Un visage de porcelaine. Une peau semblant continuellement vêtue de soie. Un visage candide aux expressions et au regard innocents, ingénus. Elle s’appelait Jesse, étymologiquement, le « don ». Elle s’exilait en « ville lumière », là où l’on dit ne jamais dormir, à l’image des monstres qui la hantent. Jesse y rencontra une reine, une reine en son domaine. Cette prêtresse rousse lui offrit deux choses : le rêve et la reconnaissance. La jeune fille s’en para comme de ses plus beaux atours, comme de ses plus beaux joyaux. Elle les porta le menton relevé, le regard plus assuré. Puis, vint le jour où elle rencontra, au détour d’une scène sombre et de formes triangulaires, son reflet, sa propre beauté. Alice devint Narcisse, embras(s)ant son doppelgänger d’un feu nouveau. L’incendie se répandit, la fumée alertant, à la fois les comtes à la recherche de princesses, et les loups à la recherche de chair fra

A l’autre bout du tunnel

Image
« J’ai rêvé d’un tunnel rouge qui se cassait en deux. » Jeanne Moreau chantait le « Tourbillon de la Vie », Noé hurle que « le temps détruit tout ». Les faits s’enlacent et se fracassent dans une continuité discontinue. On court vers des événements dont on est pourtant parfois amené à deviner la violence. Mais que faire d’autre ? La vie est un cycle qui exclut la marche arrière. Alors sur son autoroute, on tente d’allumer les phares de l’amour, de les faire briller dans la nuit crasseuse et effrayante. On s’enlace, on se touche du bout des doigts, comme si l’après n’existait pas. Comme si la passion réprimerait son penchant pour la violence.  La crasse et la laideur m’ont sauté à la gorge, ont entravé mon souffle, caressé mes entrailles. Puis j’ai vu le jour, l’amour, les corps et les espoirs. La lumière au bout du tunnel. La pellicule était coupée en deux, maintenu par un liant sordide, cataclysmique, apocalyptique. Un moment interminable dans une vie définie. Des coul

Une missive verte. Ma Vie Avec John F.Donovan, de Xavier Dolan.

Image
Cher Xavier Dolan, Tu viens de me sauver la vie, littéralement. Tu en as insufflé pendant plus de deux heures là où il n'y en avait plus chez moi. Ma Vie Avec John F.Donovan ne m'a pas emportée, il m'a portée. Il a fait de mes larmes, l'onguent pour mes douleurs.  Tes fulgurances lyriques sont venues se nicher dans ma poitrine, se blottir tout contre l'organe vital, et m'ont tellement irriguée que j'ai cru, souvent, frôler l'implosion de mon être. J'étais (je suis ?) cet enfant hurlant de joie devant sa télévision, hissant avec fierté les pavillons à l'effigie de ses films préférés. Je suis celle qui, débordant d'espoirs et de rêves de septième art, rédige des missives vertes à l'attention d'idoles qu'elle a le sentiment de connaître (de reconnaître plutôt) et porte aux nues, les acclamant le cœur serré. J'ai si peur de cette industrie que je rêve pourtant chaque jour un peu plus d'intégrer. Mais, quant à trav

Couple tentaculaire, exorcisme lapidaire, Possession, d’Andrzej Zulawski

Image
Les cris me transpercent, les sourires me glacent, les pleurs me déchirent. Il est des films qui nous renvoient plus que d’autre à notre « vulgaire » place de spectateur. Possession est de ceux-là. Possession nous livre son ballet exorciste, où le temps d’une respiration n’est même pas permis, où la violence des mouvements engendre la violence des phrases qui font mal, où la souffrance exècre la place de la beauté et de la légèreté, et nous, nous sommes là, assis sur notre fauteuil, de l’autre côté de la pellicule. Peut-être au fond que la seule chose que nous partageons avec elle, c’est cette absence de souffle qui caractérise les œuvres qui frappent, marquent, et impactent. L’histoire d’une séparation Avant tout, Zulawski narre le destin d’un couple en (grave) crise, l’histoire d’un homme et d’une femme au bord de la rupture. Il serait difficile de ne pas commencer par noter la couleur qui enveloppe la totalité du film. Ce bleu froid, morose qui renvoie à la fois

Errance mélancolique, voyage au pays des merveilles Caraxiennes.

Image
Mes mains s’approchent du clavier, puis s’arrêtent en plein mouvement. Suis-je prête à écrire sur mon maître spirituel ? Ai-je le droit de dire que j’ai l’impression d’être née pour découvrir son cinéma ? Par ailleurs, suis-je prête à partager avec d’anonymes ou moins anonymes lecteurs des œuvres que j’aimerais être la seule à avoir vues ? Mes mains commencent à tapoter, hésitantes, seulement guidées par l’amour et l’envie de rendre un hommage, aussi minime soit-il, à un artisan de la mélancolie. Les personnages Caraxiens sont noyés dans la mélancolie éternelle des êtres qui ont trop de larmes, ils prononcent les maux des âmes avec une douceur déchirante et un humour bouleversant. Ce sont des êtres aussi fragiles que solides, aussi blêmes que rieurs, aussi amoureux que tristes. Ils sont perdus, coupés du monde, coupés de la foule grouillante, froide et impersonnelle. Les personnages Caraxiens sont faits pour se rencontrer, s’aimer, jusque dans les plus grandes tragédies